La maison de Habiba Msika

Publié le : 31-01-2019

Dans la petite ville de Testour, on peut visiter une luxueuse maison qu’on appelle la “maison de Habiba Msika”, du nom d’une célèbre chanteuse tunisienne. Mais en réalité cette star des années 1920 n’y a jamais mis les pieds…



Avec son élégant patio, ses fines colonnes, ses faïences rutilantes, le Centre culturel de Testour ne manque pas de charme… Un vrai petit palais, insolite dans cette bourgade agricole située à 80 km à l’ouest de Tunis.

Testour est connue par ailleurs pour avoir été un foyer de Morisques, les musulmans expulsés d’Espagne au 17ème siècle. 
Mais c’est une tout autre histoire que raconte cette maison : le destin tragique de la première “star” de Tunis, Habiba Msika, une femme au tempérament flamboyant et au talent multiforme.

« L’aimée de tous »

Issue d’une famille juive de Tunis, Marguerite dite Habiba Msika s’est lancée très tôt dans la musique grâce à sa tante Leïla Sfez, une chanteuse réputée à l’époque. Mais elle s’est surtout orientée vers un répertoire léger. 
Davantage chanteuse de variété que réellement cantatrice, Habiba Msika enflammait son public par sa voix charmeuse, ses chansons coquines et sa personnalité hors normes. Elle soignait son personnage, alternait les tenues de scène excentriques et provocantes… jusqu’à devenir une star, voire un véritable sex-symbol de son époque. Ce que traduisait bien son surnom (jeu de mots sur son pseudonyme Habiba) : “habib’t el koll” (l’aimée de tous).

Actrice de théâtre

Mais plus qu’une musicienne, Habiba Msika avait en réalité l’ambition d’être une grande actrice de théâtre. Son idole était Sarah Bernhardt, la célèbre tragédienne française.
C’est dans la troupe de théâtre de Mohamed Bourguiba, frère aîné du père de l’Indépendance, qu’elle a débuté une carrière d’actrice. Elle a pu jouer les plus grands auteurs : Shakespeare, Molière, Victor Hugo… 
Dans toutes ces pièces, elle tenait souvent des rôles masculins, ce qui a parfois choqué – par exemple lorsqu’elle a incarné le personnage du prophète Joseph, ou lorsque, jouant le rôle de Roméo, elle a échangé sur scène un baiser avec sa Juliette…

Scandales et provocations

Sa proximité avec les frères Bourguiba ne s’arrêtait pas au théâtre puisqu’elle partageait leurs idées nationalistes. Elle s’est même fait arrêter un soir par les autorités coloniales après avoir scandé sur scène des slogans indépendantistes, en s’enroulant dans un drapeau tunisien.

Habiba Msika comptait parmi ses admirateurs inconditionnels un groupe de jeunes gens de bonne famille. Ils se faisait appeler les “soldats de la nuit” (asker ellil) et se posaient comme ses protecteurs – car les prestations de Habiba Msika faisaient bien sûr scandale auprès des milieux conservateurs et la mettaient parfois en danger.



Une fin tragique

Parmi ses fans, il y avait aussi, pour son malheur, un vieux monsieur du nom de Liahou Meimouni originaire de Testour.
Cet homme était riche et joua pour elle le rôle de mécène, finançant sans compter ses tournées internationales et ses enregistrements de disques. 
Mais cette générosité n’était pas désintéressée. Il était convaincu qu’elle accepterait de l’épouser, allant jusqu’à construire pour elle un petit palais dans sa ville natale… C’est cette maison qu’on désigne aujourd’hui comme celle de Habiba Msika.
Pourtant, la star n’a jamais eu l’intention d’y habiter. Le jour où le vieil homme comprit qu’elle ne voulait pas de lui, il décida d’assassiner celle qui la rejetait, et de la plus atroce manière : en mettant le feu à son appartement à Tunis. 
C’est ainsi que sa carrière éclair s’est interrompue tragiquement le 21 février 1930 ; elle avait à peine 27 ans. 

Victime des passions qu’elle suscitait, victime de la jalousie possessive d’un vieillard, Habiba Msika est devenue un véritable mythe de ces années d’effervescence culturelle. 

Si vous passez par Testour, ne manquez pas d’avoir une pensée pour elle en visitant cette curieuse maison. C’est aujourd’hui un centre culturel où de jeunes enfants peuvent s’initier… à la musique.

Guillemette Mansour


A lire : “Les Valeureuses : cinq Tunisiennes dans l’histoire” par Sophie Bessis, éditions Elyzad

“Habibi lawel”
Cette chanson malicieuse est de nos jours encore régulièrement chantée dans les mariages tunisiens ; mais on ne sait pas toujours que c’était une chanson de Habiba Msika.


« Mon premier amour je ne l’oublierai jamais 
Son amour dans mon cœur ne bougera pas…
« Mon deuxième amour je ne l’oublierai jamais
Je l’aimerai jusqu’à la fin de mes jours…
« Mon troisième amour… » etc.


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